[Kalda, Renard] Devine qui vient dîner ce soir ?

Ce matin encore, ils n'étaient que deux dans la bicoque branlante et immonde qui leur servait de logis... Et voilà que tout juste une heure après, ils étaient cinq.

Ou bien six, en fonction de si on comptait le bras ou non, qui semblait avoir plus de jugeote que Kalda. De tous, c'était celui qui attirait le plus l'attention de Renard. Un bras sophistiqué. Une si haute technologie. Comment est-ce que les mécanismes étaient-ils imbriqués les uns dans les autres pour faire fonctionner une machine pareille ? Et comment un tel object s'était-il retrouvé dans le Chemmis ?

Renard en voyait beaucoup, des implants et autres machines. Mais encore jamais de semblables. Il aurait apprécié de pouvoir en apprendre tous les processus mais ce n'était visiblement pas dans les priorités de chacun. On ne lui donnait que rarement des choses qui fonctionnaient correctement. Plutôt des implants merdeux à remettre sur pied.

Au moins, en partant du principe qu'ils étaient six, il y en avait au moins un tiers qui s'amusait comme des fous. Pavel était surexcité à l'idée d'avoir enfin trouver quelqu'un pour jouer avec lui. Il sautillait dans tous les sens et laissait Kalda le nourrir, comme s'il était un bébé. C'était que les enfants savaient déjà placer leurs intérêts, dirait-on ! Et que quand il fallait passer pour plus jeune que leur âge, ils y arrivaient très bien. Ca faisait bien longtemps que Pavel mangeait tout seul...

Au moins, si Kalda n'avait pas beaucoup d'instinct, elle eut au moins la présence d'esprit d'emmener jouer son fils ailleurs quand Kraven aborda les affaires plus sérieuses. Une histoire à base d'échange. Il devenait son mécanicien attitré et en échange ... en échange quoi d'ailleurs ? Il le protégeait des intrus ?

Se faire un allié de Kraven Crash. Était-ce seulement possible ? Les alliés du Chemmis étaient rares et pour ainsi dire, c'était dangereux de rentrer dans les affaires louches d'un type comme le Flingueur.

Mais.

Mais il y avait une chose encore plus dangereuse que de devenir son allié : compter parmi ses ennemis. Vu sous cet angle, le choix était vite vu.

Renard hocha la tête sans s'étendre mais Kraven lui tournait déjà le dos pour s'occuper de Kalda. Il leva les yeux au ciel. S'il voulait savoir la réponse, il fallait peut-être le regarder jusqu'au bout, non ? M'enfin bon. Kraven devait bien se douter de la réponse, ce n'était pas comme si Renard avait eu techniquement le choix. Il n'y avait plus qu'à attendre que les deux mercenaires règlent leurs petites affaires, qu'ils se fassent la peau tranquillement et il verrait ensuite pour la suite du marché.

Sauf que... tandis qu'il reprenait sa clef à molette, voilà qu'un bruit sourd résonnait. Le bruit reconnaissable d'une tête qui heurtait quelque chose. Il se leva et découvrit là, chez lui, une scène pour le moins originale. Un Kraven qui fumait, une Kalda assommée qui n'avait plus qu'un bras et un Pavel qui tenait entre ses doigts ce même bras. Malheur. En tout cas, il était peut-être bien le seul de la petite assemblée à pouvoir faire quelque chose. Il n'allait pas laisser ce genre de choses à Kraven. Il récupéra donc de l'eau – un peu sale – reprit le bras que Pavel tenait toujours pour le poser à côté d'elle et lui tapota la joue. Puis, en espérant la faire réagir davantage, il lui releva la tête et mit le verre d'eau entre ses lèvres.

Kraven venait d'attraper le bras de la jeune femme et l'observait sous toutes les coutures. Puis, soudain, il releva les yeux vers lui. Renard lui retourna son regard sans trembler. Pas mal du tout pour décrire ce bras ... c'était franchement abaissant. Ce bras était une merveille technologique ! Pas un implant "pas mal". Et Renard ne doutait pas que cette machine-là aurait ébahi 'importe quel amoureux des connectiques et des outils comme lui.

Pour ainsi dire, il n'y avait nul besoin de l'améliorer. Pas le moins du monde, au contraire. Il était déjà parfait, rien à changer. C'était certainement la chose qui fonctionnait le mieux qu'il avait vue de toute sa vie. Les implants qui défilaient ici, au Chemmis, étaient déjà tous foutus d'une manière ou d'une autre alors c'était dire... Et pour finir, Renard ne réparait que les choses qui avaient besoin de l'être.

Quant au vocabulaire utilisé... Il fit grincer Renard des dents. Cet imbécile de flingueur avait-il conscience qu'il y avait un enfant dans cette pièce ? et que Renard n'avait aucune envie que son petit renardeau apprenne un langage de charretier comme celui-ci ? Et si ce Kraven avait un enfant, il aurait la même opinion que lui !

Heureusement, toujours, qu'il ne pouvait pas parler parce qu'il aurait peut-être fini par échapper quelque chose de mal venu, qui aurait pu lui coûter la vie, face à cette brute. Il ne fallait pas oublier qu'il avait fait crâmer une femme dans son garage...

Et Pavel qui demandait alors :

- Papa, c'est quoi une pute ?

Rien, mon fils. Rien du tout, répondit-il dans sa tête.

Renard rattrapa le bras qu'il lui jetait avec un regard suspicieux. Ce sourire carnassier ne lui plaisait pas, mais alors pas du tout. De toute manière, il n'aurait eu guère le temps, Kalda revenait à elle. Autant dire qu'elle allait se débrouiller pour remettre son bras en place. Ce qu'elle fit, sous les grands yeux heureux de Pavel. Il aimait bien cette petite, son fils.

Et voilà que Kraven appelait Pavel qui se dépêchait d'aller vers lui. Enthousiasme que Renard freina en le rattrapant par le bras et en le mettant derrière lui. Étrangement, d'ailleurs, Pavel se cacha derrière ses jambes sans protester. Voilà, maintenant qu'ils partent. Ils venaient tous les deux d'envoyer en l'air sa matinée, et il leur avait offert de quoi manger. C'était suffisant pour le moment.

Kalda, de toute manière, partait déjà. Tant mieux. Que l'autre suive.

Il resta planté devant son fils, faisant rempart de son corps. Il ne représentait peut-être pas un bien grand danger pour Kraven, mais tous les chiens, même les chihuahuas descendaient du loup. Et si on s'en prenait à Pavel, même au prix de mourir, Renard pouvait très bien en devenir un, de loup. Pour quelques instants.

Il resta immobile devant la porte, tandis que les derniers mots de Kalda résonnaient encore et encore dans sa tête-


Ce serait sûrement plutôt qu'elle ne s'y attendait.