Avant l'indifférence│Jellil

Quand tout ira bien, quand nous serons amis
Sans plus de mensonges, sans plus de jalousie


Faste futile, indécence semi-voilée. Tout ça pour quelques foutus couteaux plantés.
Emma a réservé le parc des labeurs pour l'occasion, assis la domination par accointances municipales en plus d'exhiber l'argent. De mauvais goût peut-être, de bon ton fatalement. Élevée à bonne école, Madame connaît par cœur les parties de dames dans les sphères du pouvoir, et ce qu'implique de devoir intimider l'autre.
Décor de merveilles en guise d'arène, robe à haute nuque comme tenue de combat et en arrière de la scène, son sourire inébranlable pour arme de bataille. Victorieuse incontestée des joutes sociales, elle dilue pour ses rivaux la parfaite dose d'assurance dans une mer d'huile de bienveillance. Sur sa peau, pas de bijoux mais des projections holographiques, dont la netteté et la brillance assoient la dominance technologique. En guise d'adversaires, des tenues taillées dans des compositions organiques de pointe.

Sans plus un serviteur moderne qui ne soit entièrement fait main, il n'y a dans l'assemblée, aucune âme humaine pour tempérer la folie des grandeurs de ces titans dans leur arène. Même le parc a perdu toute substance, dissimulé sous les trésors des dernières avancées. Une fosse de prédateurs comme on en a rarement vue, sous les notes de musique qui battent son plein tout autour. Le concert lui-même, n'est pas anodin : la diva qui chante est un robot de pointe, les coffres qui la diffusent sont en matériaux biologiques.
Démonstration à l'hypocrisie farouche de l'alliance de deux mondes.

Sous un sourire implacable et des jambes bien droites, Emma se sent vaciller, du haut de sa stature. Elle ne comprend pas le jeu de Jellil et cette incertitude la flingue. Ressaisis-toi ma grande, se morigène la dame, c'est une opportunité fantastique. Mais elle ne sait plus de quoi s'inquiéter ni même se réjouir.
Devant cette foule immense, lèvres portées à son verre quand on oublie de la regarder - trop rarement à son goût - des fantasmes terrifiants nourrissent ses pensées, lui permettent de tenir.

« Merci encore, Alice. Embrasse tes enfants pour nous. »
Les derniers convives remerciés signent la fin inespérée de cette mascarade. Emma lâche le bras de Jellil sitôt qu'ils vont vers la voiture ; elle a déjà prétendu pour plus que la soirée. L'esprit embrouillé et les épaules en chape de plomb, elle se débarrasse des artifices à peine entrée dans le véhicule.
Ici, pas de conduite pour se distraire sous couvert d'attention. Pas de chauffeur non plus pour limiter l'enfer qu'est l'Autre. Rien qu'un huis clos ambulant, une alcôve de silence lancée sur une route vide. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle ne s'est pas retrouvée seule avec lui. Accoutumance perdue dans sa fuite, Emma accuse la présence de Jellil comme une véritable agression.
« Eh bien. C'était inhabituellement fatiguant. »
Se fend la dame du haut de son flegme inégalable, bloquée il faut croire, dans un superbe euphémisme. La vérité est toute autre, c'est le chaos qui règne en elle. De cette idée aliénante, cette pensée révoltante : elle préférerait que Jellil ait écarté Agnès de la piste des suspects. Qu'il ne soit pas à ce point arrogant, hors des réalités, qu'il en vienne à fraterniser avec la femme qu'il estime responsable de son accident. Elle préférerait être en danger que de devoir l'encaisser. Sonner toutes les alarmes, que d'envisager qu'il en soit capable. Capable de se faire ça. Capable de lui faire ça.
Tu es folle Emma. Ca y est. T'as basculé.
Elle a envie de hurler.
« J'espère que tu sais ce que tu fais. »


Sans plus de colères,
Sans plus de mystères,
Notre amour sera fini.