Le chemin du Petit Poucet [Aldric & Junko]

La journée avait été longue. Non pas qu’il avait beaucoup à faire, mais en fait c’était même là le fond du problème ; il y en avait trop peu. Aldric, branché au réseau sécurisé de Valkyrie Medical, passait plus de temps à se balader dans des pièces qui n’avaient pas beaucoup à voir son travail qu’autre chose. Bon, peut-être que c’était aussi, dans une certaine mesure, sa faute… A force de fournir l’effort minimum afin qu’on ne risque pas de lui en demander trop eh bien… Eh bien ça avait marché, quoi. C’est comme ça qu’il se retrouvait souvent à terminer plus tôt que prévu les tâches qui lui étaient attribuées, veillant juste à en laisser suffisamment en suspens avant de les valider pour que personne ne s’en doute.

C’est donc ainsi qu’il se retrouva à rentrer chez lui complètement épuisé, quoi qu’en ayant presque rien fait de la journée. Mais ne comptez pas sur lui pour aller se reposer pour autant. Bien que débranché depuis moins d’une heure, le datajack sur son avant-bras le picotait déjà du manque de son compagnon. Le neuromancer était en train de finir le bonbon à la fraise qui l’avait accompagné durant tout le trajet lorsqu’il rentra chez lui, prenant à peine le temps de retirer chaussures et vestes avant de rejoindre le siège installé près de son routeur. Un frisson d’excitation le parcourut. Moins d’une heure depuis son dernier branchement, pourtant il gardait toujours la même sensation qu’au premier jour. C’était grisant. Il coupa la musique que son implant neuronal diffusait (la seule façon lui permettant de surmonter le vacarme assourdissant de la ville les rares fois où il osait poser le pied hors de chez lui) puis inséra le jack dans son propre port femelle tout en fermant les yeux ; accueillant religieusement le bouillon de sensations d’un tout autre genre qui le parcourait.

Il n’avait pas envie de se balader ce soir. Il avait déjà passé la nuit précédente à trouver des failles qu’il n’exploiterait jamais par manque d’intérêt réel, il lui fallait autre chose. Depuis sa Chambre il avait catalogué tous les sites qu’il fréquentait couramment ; pas de goût pour un autre cyber love ce soir, les salons de discussion ne l’avaient jamais intéressé, pourquoi pas un jeu tiens…

Finalement, le jeu avait été écourté. Rapatrié par la curiosité d’une notification dans sa Chambre, il s’était glacé juste quelques secondes en y trouvant en plein milieu une poupée à l’air familier, le temps de lancer une série de « Merde, merde, merde, merde… » puis de se jeter dessus -du moins visuellement. Comment est-ce qu’elle avait pu se frayer un chemin dans sa Chambre ? Généralement on lançait les scripts d’attaque lorsque les avatars étaient dans des pièces moins bien protégées, pas directement sur leur palier, ça demandait beaucoup trop de temps. Il avait laissé un port ouvert ?
Pas le temps pour les questions maintenant ; la dernière fois la poupée lui avait laissé un mauvais souvenir et une nuit fichue, pas question de se faire avoir deux fois.

Sans trop avoir le temps d’en perdre, Aldric commença par isoler sa Chambre du réseau de son appartement ; pas question qu’elle ait le temps de s’y infiltrer. Il lança en tâche de fond un scan de son environnement, il prendrait un peu de temps mais permettrait de savoir par quel port elle avait bien pu s’infiltrer. C’était certes son travail, mais aussi tout ce qu’il détestait : être la proie d’une attaque en temps réel c’était jouer un jeu de piste dont le but était de remonter la trace de son assaillant au plus vite, quelque chose qui demandait d’être réactif et que, franchement, le neuromancer n’appréciait pas plus que ça. Il était plus du genre à préparer tout un tas de scripts et les laisser gentiment travailler pour lui.
En parlant de ça. Il lança un second script, comparant l’état actuel de ses données avec celui de sa dernière sauvegarde ; s’il y avait eu des modifications dont il n’était pas l’auteur cela l’aiderait également à remonter sa trace et éviter qu’elle ne cause encore des dommages qu’il n’avait vraiment, vraiment, VRAIMENT pas envie de réparer. Dans la foulée il en lança un autre afin de s’assurer qu’elle n’avait pas déjà eu le temps d’installer une backdoor, quel intérêt de chasser un intrus qui a le double de vos clefs.

Après avoir vérifié l’état de la configuration de sa Chambre (qui devrait être protégée !) et maintenant que ses différents scripts tournaient, il fixa la peluche d’un air… contrit, anticipatif ? Un peu de tout à la fois. Pas sereinement en tout cas. Tant que ses scans n’étaient pas finis ou qu’elle ne faisait pas de nouveau mouvement, il ne lui restait plus qu’à l’attendre pour réussir à l’attraper la main dans le sac.

Les résultats se faisaient attendre. Mais il put déjà constater avec soulagement que, pour l’instant, aucune de ses données n’avait été altérée. Il se dépêcha d’en faire une sauvegarde ; on n’est jamais trop prudent. C’était rapide à lancer, ça se débrouillait tout seul, c’était parfait pour les circonstances. Incomplet, mais il ne voulait pas prendre le risque d’enregistrer un logiciel espion ou quelque autre fourberie par mégarde.
L’un de ses scans plus approfondis, à mesure de sa progression, lui fournissait de précieux logs. Là encore rien n’était infaillible, il pouvait passer à côté d’une information discrète ou que ses scripts n’étaient pas configurés pour repérer, mais cela ne devrait pas représenter quelque chose de trop sensible. Les lignes de code brutes défilaient sur l’un des murs immaculés de sa chambre, comme rétro-projetés, et il gardait un œil attentif sur leurs outputs. L’avatar de démone tournait en rond, se sentant comme un animal pris en cage. Il détestait ça, détestait ça, détestait que sa routine soit troublée de quelque manière que ce fut, pas le temps pour s’apitoyer dessus mais bon sang son cerveau était en déroute. Heureusement que des années de pratique avaient échauffé ses réflexes.

Enfin, une ligne intéressante apparut sur le mur et il l’isola pour être sûr de ne pas la perdre, comme quoi les couleurs criardes avaient du bon parfois. Il venait de mettre la main sur une des backdoors qu’elle avait installé, ce qui pouvait lui servir à lui aussi de point d’entrée.
Dans le même temps les résultats de son autre scan s’affichèrent à côté des lignes de commande qui défilaient à toute vitesse, lui confirmant avec soulagement que son réseau devait être sécurisé, pas de port vulnérable en vue. Une deuxième série de résultats arriva presque aussitôt, recensant les softwares utilisés par son réseau et… oh, merde. L’un d’entre eux avait vu répertorier un nouvel exploit récemment. Il ne se faisait pas trop d’espoir qu’elle avait dû s’en rendre compte avant lui et exploiter les vulnérabilités remontées.

Du calme Aldric, du calme. Ca aussi, ça peut être utilisé à ton avantage. Tu en sais déjà plus sur ses points d’entrée, ça va aller, tu fais ça tous les jours.
Mais comment il avait pu rater une information pareille merde ; c’était quand même son foutu métier de se renseigner sur ce genre de choses. Bon. Une chose à la fois. Déjà, la porte. Aldric avait sa petite idée sur comment l’utiliser à son avantage, y installant un mouchard qui le préviendrait dès qu’elle l’utiliserait. Il s’occuperait d’y ajouter un appât un peu plus tard, si elle ne l’utilisait pas d’elle-même.

Maintenant l’exploit. Trop tard pour corriger les failles maintenant, mais déjà les connaître permettait de savoir de quelle façon elle avait dû les utiliser. Cela lui prit un peu plus de temps, durant lequel il gardait toujours un œil attentif sur ses logs, mais finalement il parvint à mettre la main sur un bout de script errant. Parfait ! De lecture en lecture, il commença à en apprendre plus, comment elle avait utilisé un reverse proxy par exemple afin que remonter l’attaque ne pointe pas directement sur sa Chambre par exemple.
Il avait déjà eu l’occasion de la voir à l’œuvre une fois, il ne s’étonnait guère qu’elle pense à prendre ses précautions, mais il n’était pas en reste dans le domaine non plus. Pas à pas, Aldric commença à remonter les différentes routes, essayant de déterminer lesquelles étaient des cul-de-sac lesquelles avaient un réel intérêt.