Attend une seconde… |FE-Lyx

Pour des raisons personnelles, il n’aimait pas vraiment le Kitezh. Mais c’était le seul quartier de la Haute qui lui était accessible de par sa qualité de Rigger. Non pas qu’il ait eu envie d’aller plus loin de toute manière. Ça lui coûtait déjà beaucoup de patience de trainer ici…Mais c’était une fourmilière, c’était le meilleur endroit pour apprendre quelque chose. Non pas qu’il sache exactement ce qu’il cherchait, mais les ragots allaient bon train pour peu qu’on sache qui interroger. Paradoxalement, bien qu’on puisse imaginer les systèmes de pêche old-school qui consistait à aller interroger les petites gens et les bouquinistes du coin, c’était dans le grand centre commercial qu’on pouvait en apprendre le plus. À force, Jessee connaissait le chemin, toujours le même rituel, les mêmes têtes, les mêmes expressions, tantôt affolées tantôt blasées, on se doutait de pourquoi il était là et il ne le cachait pas aux personnes concernées. Du travail vite fait bien fait.

En général, il évitait de trainer. Lorsqu’on avait des sens auditifs et visuels plus développés que la moyenne, trainer dans le centre surpeuplé, surcoloré et surbruyant avait des allures de parcours du combattant accompagné de grenades flash, aussi baissait-il la sensibilité de son ouïe presque au minimum, de quoi retrouver des sens à peu près humain, et évitait de regarder partout, pour être honnête, il voyait autant de misère humaine ici que dans les quartiers de la Basse, on essayait juste de la recouvrir par des strass et des paillettes en priant pour que personne ne le remarque et en l’oubliant. Mais Jessee trouvait ça plus écœurant encore, comme une personne tâchant de cacher son odeur corporelle sous des tonnes de parfums diverses. Avec une grimace, il progressa dans les couloirs, les allées, surpeuplés de la galerie.

Il s’apprêtait à commencer son tour rituel lorsqu’une sonnerie, qui ne parvenait à couvrir le bruit ambiant que parce qu’elle lui était transmise de façon solidienne, par les os de son crâne, de la même manière qu’on entendait sa propre voix. Elle provenait évidemment de son communicateur qu’il avait intégré à ses implants visuels et auditifs et lui annonçait un message. D’un simple mouvement de son œil bio mécanique, il afficha holographiquement, visible uniquement de la position de sa prothèse, le message. Ah, changement de programme. À présent il avait rendez-vous. Un de ses contacts de chez UBIK avait du nouveau pour lui et il espérait un échange de bon procédé. C’était dans ses cordes. Bon, soyons honnêtes, ça le gonflait profondément, mais Ezekiel avait besoin de ces infos et il lui pompait l’air depuis des semaines à ce sujet-là. Au moins, la question serait réglée. Il confirma le rendez-vous par la pensée -évidemment, le système communicateur était, comme son œil et son tympan, commandé via onde cérébrales, ce n’est pas comme si il allait sortir un joystick pour commander sa vision et une molette pour gérer l’amplification du son- et se dirigea vers le lieu habituel où il retrouvait ses contacts, un café de chaine où les gens se retrouvaient autant pour travailler que pour faire une pause dans leurs achats, un endroit bondé, insupportable, mais personne ne faisait attention à un Rigger bourru dans cet environnement. Il s’installa rapidement à une table, ni trop en évidence, ni trop à l’abri des regards pour ne pas attirer l’attention, et il joua un moment avec le menu holographique avant de se décider à commander quelque chose pour ne pas avoir l’air d’un guignol à attendre dans le vide. Maintenant il n’y avait plus qu’à patienter. Il se plongea dans ses pensées pour devenir hermétique au monde qui l’entourait, ses implants travaillaient pour lui et le préviendraient au moindre problème qui pourrait se présenter à lui, mais rester alerte complètement aurait été bien au-dessus de ses forces. Ce qu’on ne faisait pas par amour.

Jessee n’avait pas eu à attendre très longtemps, pas plus qu’il avait dû attendre sa boisson. Il sirotait tranquillement, sans prêter attention ni au goût de sa boisson ni au monde qui l’entourait, lorsque ses implants le mirent en alerte. Angeline était ponctuelle, comme toujours, trop rigide et trop tendue, il pouvait l’entendre arriver à des kilomètres à cause de sa tension trop élevée. Mais elle n’était pas seule. Il y avait quelque chose avec elle, et il précisait bien « quelque chose » parce qu’il n’entendait pas un cœur qui battait à ses coté mais un enchevêtrement qu’il devinait complexe de cliquetis sans aucun doute inaudibles par le commun des mortels, il n’était même pas sûr que ce soit perceptible par la chose elle-même. D’un mouvement presque insignifiant, il tourna le regard dans la direction de ses deux contacts qui s’installaient à sa table sans même un mot.  

Il connaissait bien la femme, Angeline, c’était un des rares contact frontal qu’il avait conservé d’UBIK, c’était une des seules en qui il savait qu’il pouvait avoir confiance et il avait préféré limiter les rencontres avec les autres sous couvert de vouloir, justement, les couvrir, il se protégeait lui, et son protégé bien sûr. Aussi s'en désintéressa-t-il rapidement après avoir grogné une vague réponse à ses salutations. Ce qui, en revanche, avait toute son attention, c’était l’autre à côté d’elle. Il ne pouvait pas dire « l’autre homme » car ce n’en était pas un, il l’avait vu d’un simple coup d’œil. Il pouvait bien essayer de se déguiser, il ne fonctionnait pas comme un humain normal. Pas un rigger non plus, pas de matière organique, pas de production de chaleur, pas de pouls, pas de cœur. Dans le fond, Jessee n’était pas contre, tout le monde utilisait des robots. C’était la norme, les androïdes servaient à tout, alors que celui-ci serve de disque dur à patte ne l’étonna pas plus que ça. En revanche, le voir se commander à boire en s’adressant avec plus ou moins de tact et autant d’hésitation le fit tiquer un peu plus. Qu’est-ce que c’était comme expérience ? Le rythme cardiaque d’Angeline n’avait pas varié, elle semblait aussi égale à elle-même qu’à l’accoutumée, ça devait donc être normal, et il n’était pas dans la nature de Jessee de poser des questions.

Mais la suite fut…bien plus compliquée à entendre. L’instant se figea pour le mercenaire. Il eut l’impression de voir la scène défiler au ralenti. S'il n'avait pas été dans un lieu public bondé -ou s'il n'avait pas été un professionnel, au choix- il aurait dégainé et tiré sur la chose qui venait de dire son nom à haute voix comme s'il s'agissait d'une banalité incroyable. Non mais à quoi il jouait ? Ils voulaient le faire choper ou quoi ?
Avec un sefl control difficile non seulement à atteindre mais aussi à maintenir, Jess tourna la tête vers Angeline, la fusillant du regard avec autant d'efficacité que s'il s'était agit d'un flingue chargé.
« Bon sang, Angy, c'est quoi ce bordel ? » Cala-t-il entre ses dents crispées les unes contre les autres par la force de sa mâchoire agacée. La femme soupira, son cœur, Jessee l'avait entendu, avait manqué un battement lorsque l'IA à coté d'elle avait lâché sa phrase aussi banale que destructrice. Apparemment, soit elle ne s'était pas attendu à ça, soit elle avait espéré que cela ne se produise pas. De tous les mercenaires auxquels elle aurait pu avoir affaire, Jessee était sans doute le moins susceptible d'apprécier ce genre de surprise, non pas que les autres en aurait été ravi. Angeline soupira de nouveau, c'est tout juste si elle ne s'était pas pincé l'arrête du nez d'agacement, ce qui énerva d'avantage le rigger. Mais elle tapota son propre Omnitech, attirant son attention et l'incitant à faire de même, ce qu'il fit.
Sur son interface, un simple message : « Bot. Codé pour info. Base de données. Répond-lui. »

Jess relu plusieurs fois. Elle se moquait de lui ou...Il poussa un soupir et, lui, se pinça réellement l'arrête du nez. Il n'allait quand même pas faire confiance à ce point ? Ou peut être que si ? D'un œil -modifié- critique, il observa le « bot », comme Angy l'avait décrit. Il prit une inspiration brève, comme s'il s'apprêtait à plonger, tout en restant discret pour ne rien laisser paraître, puis il leva la main, aussi ravi de le faire qu'un condamné à mort qui avance vers le pilori, pour serrer celle du robot, elle avait beau être gantée, elle était froide comme la sienne.

« Je suis Jessee McQueen... » Cracha-t-il, bien moins fort que ne l'avait fait le robot. Pourquoi s'acharnait-il à utiliser un nom de code déjà ?