Le Gala des gens Heureux. |Oscar

L’ambiance était telle qu’il avait toujours le plaisir de la retrouver, au Svarog Rod. Comme un des rares lieux de l’Atlantide que le temps ne pourrait jamais rendre moins attractif, le bar continuait encore et toujours d’appeler à lui les âmes en peine, les solitaires, les esseulés. Joriel en était une, sans aucun doute, sans même qu’il cherche à s’en convaincre autrement. C’était évident au quotidien, ça l’était plus lorsque son regard se baladait au gué de la foule en mouvement, cherche quelque chose, quelqu’un, n’importe quoi, pourvu qu’il soit en mesure de troubler son profond ennui. La musique, trop forte, vrombissait agréablement à ses oreilles, ici ou là un impatient, sûrement déjà un peu trop alcoolisé, le bousculait dans sa quête d’atteindre un nouveau lieu. C’était parfait.

Pourtant il n'était pas rien complètement par hasard... Pour une fois. Il avait enjoint une vieille, très vieille connaissance à l'y retrouver. Ce vieux lascar d'Oscar, il ne savait même plus dire depuis combien de temps ils ne s'étaient plus croisés -ni exactement quelle forme de nostalgie s'était emparée de lui pour qu'il se décide à le contacter, venu de nulle part. Mais les habitudes ont la vie dure : de ses souvenirs le Svarog n'était pas franchement le bar qu'il fréquentait avec le plus de verve. C'est pourquoi Joriel s'était fait un plaisir de le choisir, non seulement il était plus proche de son travail, mais rater une occasion d'emmerder quelqu'un -jamais !

Puis il partit au bar, se chercher un nouveau verre pour remplacer celui qu’il regardait d’un air accusateur depuis quelques minutes maintenant, mais surtout pour fuir la compagnie du jeune homme qui essayait désespérément de savoir ce qu’il cachait derrière ses lunettes de soleil. Qui gardait ses lunettes dans un bar, à cette heure-ci de surcroît ? Certains s’en amusaient parfois, il pouvait le remarquer à la façon dont la commissure de leurs lèvres se dressaient d’un air moqueur, d’autres trouvaient que ça lui donnait un air cool. Mystérieux. A ceux-là Joriel se contentait d’hausser les épaules, un sourire malicieux sur les lèvres. S’ils savaient…

Malheureusement le temps qu'il scanne la salle pour voir si son vieil ami s'y trouvait déjà, adossé contre le zinc, sa nouvelle boisson entre les mains, avait été suffisant pour s'apercevoir que toujours le même courtisan avait retrouvé sa trace et était en route pour le rejoindre. Heureusement la vieille mine déconfite qu'il connaissait plutôt bien était désormais dans sa ligne de vue et fut un délicieux prétexte pour se glisser entre les corps et perdre sa tignasse rousse dans la foule.

« Eh bien, je dois avouer que je n'étais même pas sûr que tu viennes réellement. » Lança-t-il pour tout préambule en se glissant sur le siège vide, un dédale de membres trop longs, trop désorganisés sur la petite structure en tôle, de ceux qui ne se sont jamais donné la peine d’apprendre à s’asseoir convenablement.

Après tout ce temps, il n'était même pas sûr qu'Oscar le... reconnaisse. Outre le temps son corps n'avait plus grand chose à voir avec ce qu'il était à l'époque, non pas que son esprit en fut grandement apaisé au final. Il joua à faire tourner le liquide contenu dans son verre avant de le porter à ses lèvres, son regard fixé sur son interlocuteur bien que caché derrière ses lunettes opaques. Si le corps change, l'attitude, elle, n'en demeure pas moins similaire.