Go out and see what you can find. |Orion

Il y avait globalement peu de choses capables d’impressionner Ivan.

De bonnes facultés de combats, de jolies améliorations, c’était proche de ses seuls centres d’intérêts et c’était déjà suffisant merci bien.
Quelle surprise dans ces conditions pour qu’il soit quotidiennement à l’affût de nouvelles prothèses intéressantes, ou s’intéresse aux personnes ayant une meilleure connaissance que lui dans le domaine ? Disons, des personnes capables d’énumérer les avantages et inconvénients derrière un numéro de série ou ayant une vue sur les petites pièces cachées des corporations…

Ivan avait connu un homme comme ça autrefois. Dans un autre temps, lorsqu’il était encore un gamin du Chemmis évoluant aux côtés d’un gang. Un gamin disposant de plus de peau que de cybernétique sur le dos… Brrr. Tragique époque. Toutefois, après des années sans être retourné quérir ses sages conseils (faut-il dire que les choses raisonnables n’avaient jamais eu beaucoup d’attrait pour lui) le temps semblait venu de chercher sa nouvelle tanière. Il lui fallait une petite nouveauté, quelque sublime rareté qui saurait rassasier son éternel désir de changement. L’une des parties de son corps les moins efficaces était en cause ; une chance pour lui ç’avait toujours été la spécialité de son "ami" -qui peut-on réellement appeler ainsi dans la Basse Atlante ?.

Des yeux, c’est toujours pratique. Lorsqu’on doit être capable de réagir à la seconde près face à des adversaires misant plus sur leur dextérité que la puissance, ça en devient vital. Or les yeux d’Ivan faisaient partis de ses plus vieux joujoux, clairement obsolète comparé à l’état actuel du marché et il reposait bien plus sur l’interface en réalité augmentée que lui offrait ses lunettes que sur leur acuité. Il était grand temps de réparer cette injustice. Il lui fallait quelque chose qui ait de la gueule, qu’importe le prix, il pourrait toujours accepter des missions en plus que ce que lui demandait Amar. Ou monter ses tarifs tiens. Le vieux grognon le sous-payait vraiment.

Pour débusquer la personne qui l’intéressait dans ce travail il lui avait fallu tirer de vieilles ficelles qu’il n’avait plus activé depuis ce qu’il semblait être une éternité. On ne l’avait pas franchement accueilli à bras ouverts, traître pour lequel on le prenait, mais graisser quelques pattes au jus de Quid avait toujours été une méthode sans faille pour parvenir à ses fins.
On lui avait quand même fait perdre son temps pendant des heures, assez pour que le soleil aille se planquer derrière les gratte-ciels de la Haute qui surplombaient toute la ville, à le faire valser entre Pierre et Paul tant et si bien qu’il avait cru qu’il collerait le canon de son arme sur la tempe du prochain à passer à côté de lui pour faire bonne mesure. Non pas que ça l’aurait été à connaître la nouvelle position d’Orion. Mais ça aurait au moins eu le mérite de calmer ses nerfs.

Heureusement il n’avait pas eu besoin d’en arriver jusque-là, puisqu’au final quelqu’un d’un peu moins con s’était pointé devant lui et avait enfin été en mesure de lui indiquer où aller.

Eh bien voilà. Est-ce que c’était franchement si compliqué ? Pas non plus comme si fricoter au Shambhala la nuit tombée était une merveille de nouveauté. Il avait intérêt à y être. Besoin de lui ou pas, la maigre patience d’Ivan avait été complètement drainée par cette après-midi à ne rien faire et s’il devait passer plusieurs jours comme ça à jouer au chat et à la souris pour savoir où on pouvait trouver ce foutu reliquaire en journée puis espérer l’y croiser au bar la nuit, ça risquait de ne pas franchement bien se passer.

Heureusement, la pénombre était l’endroit le plus indiqué pour repérer le vieil oiseau. Avec ses goûts de pie et son attrait pour la quincaille, le moindre rai de lumière scintillait de plus belle à son contact, comme flatté d’avoir touché son or. C’est dans une alcôve un peu reculée qu’il avait finalement réussi à l’apercevoir, confortablement assis sur une banquette autour d’une table nimbée d’alcools aux côtés de deux jeunes femmes ricanant un peu trop pour être honnêtes. Sérieusement, est-ce que c’était seulement un mot connu des Atlantes ?
Ivan s’était empressé de s’affaler sur les coussins libres à côté de l’une d’entre elles, fumant comme de coutume sur la pipe reliée à l’arme qu’il ne quittait jamais, se faisant un plaisir de l’ignorer royalement si ce n’était pour cracher sa fumée en sa direction ; une forme de silencieux « Casse-toi » en somme. Le rigger décrocha son plus beau sourire de requin en direction de sa cible de la journée.

« Toujours aussi compliqué à t’mettre l’grappin d’sus vieille pie. »

Le sourire d’Ivan n’avait pas déchanté, tandis que sa tête heurtait la table avec un bruit trop sourd pour être celui attendu d’un humain. Sa tenue en cuir cachant certaines de ses cybernétiques, une impulsion qui lui avait fait tenir à garder une peau sur ses visages et ses mains, cela donnait parfois l’impression qu’il était moins amélioré que ce n’était réellement le cas. Les bruits qui venaient de son corps en revanche ; eux ne laissaient place à aucun doute sur la teneur de son corps. Un cœur, que voulez-vous il a toujours été un romantique au fond de lui, un cerveau, c’était déjà assez de pièces d’origine.
Alors oui, il souriait à s’en faire décoller sa peau synthétique pendant que le vieux bouc le menaçait, le bras maintenu par ses deux mains. La peur, c’était un sentiment qu’il avait oublié depuis bien longtemps. Et s’il ne se faisait aucun doute des capacités d’Orion, pour les avoir vues à l’œuvre plus d’une fois, il avait quelques nouveaux tours dans son sac qu’il se faisait toujours un plaisir de révéler.

Mais le vieux chasseur l’avait finalement reconnu, avant qu’il n’ait besoin d’en dire plus. C’était son boulot après tout, non ? Pour ça qu’on allait le trouver pour une pêche plus fructueuse, lui qui savait lire les sigles de série mieux que quiconque. Pour ça qu’Ivan était venu le dénicher dans sa tanière après des années d’errance. L’inverse aurait sûrement réveillé ce vieux sentiment de paranoïa, toujours sous-jacent, tapi dans les tréfonds de ses réflexes durement acquis et prêt à bondir à la moindre occasion. L’inverse aurait signifié qu’il s’était trompé de personne, improbable, ou pire encore ; que le chasseur d’artefacts avait définitivement perdu la vue.

Mais le sourire d’Ivan était toujours là, goûtant de la commissure des lèvres les résidus d’alcool traînant sur la table depuis allez savoir quand. Finalement, Orion l’avait lâché et le rigger s’était redressé, lentement, les mouvements mesurés et ne quittant pas le vieil homme des yeux même lorsqu’il rattrapait sa pipe pour en caler l’embut entre ses dents.
Le vocaliser lui aurait arraché la gueule (pour la facilité qu’il avait à vocaliser quoi que ce fut de toute manière), mais le revoir n’était pas si désagréable que ça. Ca avait ce sentiment de quelque chose dans sa foutue vie qui n’avait pas changé, ne fut-ce pour quelques nouvelles rides.

« L’cœur fragile et les habitudes qui s’émoussent ? J’ai cru qu’tu finirais jamais par m’r’connaître. » Il lâcha, joueur, bouffant ses mots comme de coutume, testant les eaux d’une certaine manière. Orion était toujours fidèle à lui-même, en apparence tout du moins. Mais de l’eau avait coulé sous les ponts, tester les nouvelles limites, flirter avec de nouvelles réactions, c’était aussi un gage de sûreté.

Ivan laissa traîner un regard désintéressé sur les poules dont s’était entouré Orion, juste assez pour leur cracher une nouvelle salve de fumée sous le nez et pour la réalité augmentée de ses lunettes de s’affoler, avant de retourner se reposer sans avoir rien repéré d’intéressant. Son regard se reporta sur l’homme entre elles, volontairement aussi pesant que ses foutues prothèses de basse qualité lui en laissaient l’opportunité. Les prétentions ça ne l’avait jamais intéressé, il ne voyait même pas pourquoi il prendrait la peine de faire semblant qu’il reconnaissait l’existence des deux inconvénientes.

« Tu m’flattes vieille pie. » Il se pencha légèrement en sa direction. « Et tu mens. » Les commissures de ses lèvres se redressèrent. « Même avec toi, j’resterais dans les meilleurs. »

Il se recula sur son siège, s’avachit contre le dossier serait plus juste, curieux de voir les réactions d’Orion devant un si bel auditoire. Il l’avait toujours soupçonné d’avoir un faible pour la grandiloquence en ces occasions.

« J’ai b’soin d’tes talents, mes joujoux sont trop vieux pour faire l’taf et t’as l’meilleur œil qu’j’connaisse. »